Le deuil interdit

Dans notre société où la mort a vocation à être cachée au profit de la vie que l’on veut croire éternelle, un deuil est toujours une période particulièrement laborieuse. Un deuil caché l’est d’autant plus et peut avoir des conséquences désastreuses.

C’est pourquoi, le sujet que nous abordons dans cet article est le deuil interdit.

Définition

Un deuil non reconnu / interdit est un deuil dont l’ambivalence des liens, l’absence de rites et la faiblesse du soutien social induit un sentiment de honte -issu de la relation ou de la tristesse que l’on éprouve- voire de secret.

Types de deuils

Les types de deuils non reconnus peuvent être classés en trois catégories : ceux déniés du fait du statut personne décédée, de celui de l’endeuillé ou du type de décès.

Déni mettant le statut du défunt en cause

La première catégorie est celle des deuils que la société nie globalement en mettant en cause le statut du défunt. Cette hypothèse recouvre plusieurs types de situations distinctes.

Il y a d’abord celles que la majorité des gens pensent si « ordinaires » qu’il en devient absurde à leurs yeux de s’épancher de tristesse dessus. Cela recouvre par exemple les cas de décès ante ou périnatal (une grossesse comporte toujours une part de risque et d’incertitude, certains considèrent de ce fait « normal » d’anticiper une éventuelle fausse couche ou un décès à la naissance), celui d’une personne très âgée (dont on dit par exemple qu’elle a bien vécu et que c’est dans l’ordre des choses), une relation non connue publiquement (le défunt n’avait parlé à personne de la proximité relationnelle avec l’endeuillé et l’entourage ne comprend dès lors pas la tristesse d’un « pseudo-inconnu ») ou encore celui d’un animal de compagnie (malheureusement parfois considéré comme un bien interchangeable, plutôt qu’ un fidèle compagnon).

Ensuite, il y a les situations qui ne sont pas seulement déniées mais indubitablement réprouvées socialement. Par exemple, le cas d’un amant ou d’une maitresse… Il serait passablement malvenu que vous alliez saluer son conjoint officiel à la messe et que vous pleuriez son décès auprès de votre conjoint officiel ; un criminel , même si s’agit d’un membre de la famille de l’endeuillé, les réactions seront rarement compréhensives ; ou tout type d’autre relation réprouvée socialement en fonction de son milieu social.

Dans le premier cas, vous aurez, dans la meilleure des hypothèses,  probablement honte d’en parler, ou pire, provoquerez un sentiment de lassitude ou de gêne. Dans le second cas, vous risquez de recevoir de bien plus virulentes réactions.

Déni mettant en cause le statut de l’endeuillé

Ensuite,  vient la catégorie des deuils déniés intrinsèquement en raison du statut de l’endeuillé.

Premièrement, il y a le cas des individus dont on estime qu’ils ne saisissent pas la situation (les enfants, les personnes ayant un retard mental …). C’est une erreur, ils comprennent la situation, à leur niveau d’entendement, mais en souffrent tout autant.

Parallèlement au cas des plus jeunes,  l’affliction de personnes âgées est régulièrement niée (« A ton âge tu te doutais que beaucoup de personnes de ton entourage disparaitraient »).

De même que dans la première catégorie relative au statut du défunt, le statut d’endeuillé peut également ne pas être considéré comme légitime en raison du manque de reconnaissance de la proximité avec le défunt (non-reconnaissance de la relation lorsque le défunt était vivant, cassure de la relation à cause d’une dispute par exemple malgré une précédente intimité), le chagrin paraitra surjoué.

Enfin, la catégorie la plus dure à vivre: le deuil dénié en cas d’une quelconque responsabilité dans le décès. Il sera alors plus que probable que l’entourage refuse le droit à l’endeuillé de participer aux rites funéraires et que ses larmes soient malvenues, même si sa peine est réelle.

Déni mettant en cause le type de décès

Parfois le deuil peut aussi être dénié ou méprisé à cause du type de décès.

Lorsqu’une personne qui a un métier à risque décède (militaire, policier, ouvrier, …), des phrases telles que « ce sont les risques du métier » sont souvent prononcées. Un grand nombre de gens ne comprendront pas cette tristesse , puisqu’il s’agit d’une possibilité à laquelle l’endeuillé aurait dû se « préparer ».

Un autre type de décès souvent dur à vivre pour l’entourage est celui de type accidentel relatif à la « faute » directe du défunt. Par exemple, un jeune qui aurait conduit à 200 km/h sur l’autoroute, une personne qui se serait adonnée à un sport particulièrement dangereux ,… induisent souvent des remarques de type « Tant pis pour lui » ou « C’est la sélection naturelle », voire des moqueries encore bien pires et plus douloureuses pour l’entourage.

Enfin , il y a également le suicide. Cette catégorie est d’autant plus ambivalente que bien souvent l’endeuillé ne sait pas quoi penser de la situation non plus. « Il l’a voulu… mais nous a abandonné », …

Comment reconnaitre ce type de deuil dans la vie de tous les jours ?

Toutes ces phrases assassines et réactions que nous lions à des décès dans les paragraphes précédents sont des éléments de reconnaissance du fait que le deuil n’est pas reconnu voire socialement interdit.

Ce deuil réprouvé induit un sentiment de honte face à la tristesse éprouvée, si bien qu’il en devient difficile d’exprimer ses sentiments, ainsi que de parler du défunt, quitte à parfois même nier la relation avec ce dernier. La douleur devient écrasante et toutes ces marques de déni et de réprobation finissent par avoir des répercussions inconscientes importantes.

Conséquences

Nombreuses sont les conséquences d’un deuil incomplet.

La première est la souffrance : à ne pas pouvoir l’exprimer, l’endeuillé la retient et ne l’évacue pas. La situation est difficile à vivre. La peine devient longue et finit bien souvent en deuil pathologique (un autre article sera publié à ce sujet).

Le déni et/ ou la réprobation sociale peuvent exacerber vos sentiments et le fait de se sentir incompris. L’endeuillé peut se retrouver en marge de la société.

Cette ambiance malsaine peut parfois se transmettre à la génération suivante pour laquelle l’évocation de la personne (une sœur décédée, un père caché, …) devient un réel tabou.

Hormis des maladies dues au stress et à la pression psychologique, un suicide n’est pas à exclure dans les pires des cas.

Comment réagir ?

Bien évidemment, il faut réagir et ne pas subir la situation. Mais comment est-il possible de vivre pleinement son deuil en se heurtant si violemment aux réactions de son entourage?

Tout d’abord, reconnaissez la légitimité de votre deuil. A partir du moment où vous ressentez de la tristesse, personne n’a le droit de vous dénier ce processus.

Souvenez-vous que vous seul connaissiez le lien réel qui vous unissait à la personne. Chaque deuil est unique. Que ce soit votre entourage ou la société dans son sens global, aucun ne peut juger de vos sentiments : ils vous sont propres.

Parlez de la personne et de votre ressenti, et si votre entourage refuse de l’entendre, n’hésitez pas à contacter un professionnel, afin de discuter objectivement de la situation, ou des associations. Certaines de ces dernières sont spécialisées dans les deuils difficiles ( ante et périnatal, suicides, etc. ) et proposent des groupes de paroles composés de personnes qui traversent les mêmes difficultés que vous.

Prenez conscience de la complexité de votre deuil. Ne perdez pas de temps à convaincre les personnes qui dénient votre douleur. Ils ont probablement leur avis sur la question et rien ne les en fera changer. Ils n’étaient pas impliqués dans la relation que vous aviez avec l’objet de votre perte et ne peuvent dès lors pas comprendre. Partez donc du principe de rester à l’écart des gens qui vous sont nocifs et comprenez qu’au plus vous essaierez de les persuader du bien fondé de votre démarche, au plus vous vous noierez dans votre douleur . Dépensez l’énergie qu’il vous reste pour aller mieux, et non en cause perdue.

Pour ceux qui se reconnaitraient dans le profil du contestataire, comprenez que tout être humain a besoin de passer par ces étapes afin de se reconstruire. La douleur n’est pas mesurable, et peu importe que vous trouviez la réaction disproportionnée, soyez empathiques et comportez-vous de manière compréhensive. Aidez la personne comme vous le pouvez. A défaut d’y parvenir, n’exacerbez pas la situation et éviter les phrases blessantes.

Conclusion

Le deuil non reconnu est un véritable phénomène de société. Dans un monde globalisé dans lequel tout va de plus en plus vite, il est malvenu de distiller ses états d’âme trop longtemps. Les gens jugent rapidement et n’accordent plus, ni à la vie, ni à la mort, l’importance qu’elles devraient avoir. L’entourage a un rôle prépondérant dans le succès ou non du processus. Un deuil réprouvé est, de ce fait, d’autant plus dur à surmonter, mais il faut malgré arriver à trouver la force qui mènera à la paix intérieure. Seul un retour aux véritables valeurs de bienveillance, d’écoute, d’entraide et de patience tant de la part de l’endeuillé que de son entourage permettront de traverser cette épreuve.

Rédaction: Anne-Céline Thomaes